N'oublions pas les villes moyennes ! L'analyse de Frédéric Masquelier

8/10/2018

Jacques Donzelot annonçait déjà, il y a près de quinze ans, l’avènement d’un fait urbain « à trois vitesses » : les métropoles pensées pour concentrer les investissements publics et privés, les banlieues avec leurs forces (proximité des métropoles) et faiblesses (concentration de la pauvreté) particulières et, enfin, les villes moyennes (entre 20.000 et 100.000 habitants) qui ne tirent pas ou peu profit de la mondialisation.Il avait vu juste. Sur les quinze dernières années, l’emploi s’est concentré sur les métropoles qui produisent toujours plus de richesses et sont devenues des moteurs indéniables de la croissance française. Sur cette même période, les villes moyennes, qui regroupent 13 millions de Français soit un habitant sur cinq, ont concentré les difficultés. L'échelon national doit davantage les écouter.


Contrairement aux métropoles, les villes moyennes sont particulièrement marquées par un vieillissement de leur population et ses corollaires : isolement, dépendance, …. Elles connaissent – en miroir - un déficit important de population pour les âges compris entre 20 et 35 ans.Sur les 30 dernières années, l’emploi a augmenté moins vite dans les villes moyennes (+20%) que dans les métropoles (+50%) et s’est concentré sur le secteur des services avec, notamment, une part d’emplois publics nettement plus importantes que toutes les autres aires urbaines ou rurales. Cette donnée est particulièrement visible dans certaines villes comme Châlons-en-Champagne, Moulins, Charleville-Mézières, Draguignan, Istres ou Lunéville… Des villes qui peuvent être rapidement fragilisées par les réformes de l’administration déconcentrée de l’Etat, la raréfaction des moyens des collectivités locales et les réformes hospitalières.


Dans les villes moyennes plus de 8 baux commerciaux sur 100 sont aujourd’hui disponibles (+25% par rapport à la moyenne nationale) et ce déclin est souvent visible. Ces villes situées dans des aires plus ou moins urbaines ont souvent été le théâtre du développement des zones commerciales en leur périphérie et du dépérissement corollaire de l’activité économique dans les centres-villes.Au final aujourd’hui, la plupart des villes moyennes sont en panne d’attractivité et de dynamisme. Peu attractives pour les entreprises qui s’installent plus spontanément dans les zones densément peuplées, elles le sont peu également pour les cadres, les médecins et les jeunes diplômés. Christophe Guilluy, dont les thèses connaissent un retentissant succès, montre à quel point les villes moyennes concentrent aujourd’hui de nombreuses fragilités. En effet, selon lui, ces villes apparaissent fragiles sur des critères comme la part de personnes à temps partiel ou en emploi précaire, sur la part de chômeurs ou de personnes à faibles revenu et sur l’évolution de la part d’ouvriers et d’employés au sein de la population active…


L’importance des votes contestataires sur ces territoires souligne, par ailleurs, le sentiment de déclassement qui peut animer les habitants de certaines villes moyennes.


Ce sentiment s’est exprimé par un vote plus important qu’ailleurs pour le Front National avec des victoires notables comme à Hénin-Beaumont, Hayange, Villers-Cotterêts, Mantes-la-Ville, Béziers, Cogolin ou Fréjus.Des glorieuses sous-préfectures aux villes aux multiples problématiques, il ne s’est finalement passé qu’une seule génération : celle de la raréfaction des deniers publics et des réformes de l’administration, celle de l’essor de la mondialisation et de la fracture – plus ou moins fantasmée - entre « les gagnants et les perdants » de cette nouvelle donne économique, celle de la concurrence entre les territoires. Une concurrence qui se fait au détriment des villes moyennes qui ne peuvent bénéficier d’une importante représentation politique dans les instances métropolitaines, départementales ou régionales.

Pour les cinq prochaines années, le gouvernement a déployé près de cinq milliards d’euros pour soutenir la redynamisation de 222 villes moyennes. Cette mesure nous ne pouvons que la saluer même si elle semble porter en ses germes les échecs d’une politique passée, celle de la politique de la ville. Ce parallèle semble évident, comme pour les banlieues, l’Etat est tombé dans le travers du saupoudrage. Cinq milliards répartis sur 222 communes et sur cinq ans, cela représente moins de cinq millions d’euros par an et par commune. Pour la plupart des communes, cela représente moins que la perte de la dotation globale de fonctionnement sur les cinq dernières années sans compter qu’une partie de ces ressources provient de l’abandon de dispositifs inefficients.


Comme pour les banlieues, le risque est fort de voir ces crédits d’exception remplacer les crédits de droit commun. Comme pour les banlieues, des villes seront déclarées inéligibles à ces dispositifs sur simple décision de l’Etat.

L’Etat continue de se désengager sur les villes moyennes avec notamment des projets de fermeture totale ou partielle de tribunaux, le retrait des forces de police dans ces zones, la fusion et la fermeture d’hôpitaux, la fusion ou la disparition de services publics dans des zones où l’emploi public est pourtant primordial.

Le risque est fort de connaître les mêmes résultats que la politique de la ville.

Le risque est fort de fragiliser encore davantage ces villes qui contribue de l’identité de la France. Car un service public qui ferme correspond à des dizaines voire des centaines de familles qui vont s’installer ailleurs ou doivent faire d’importants sacrifices personnels.

Ces départs importants participent de la dérégulation des loyers, de la chute des prix de l’immobiliers, de la fermeture de classe, et plus globalement de la perte de dynamique d’une ville et au final de sa perte d’attractivité.


L’Etat doit aujourd’hui repenser ses relations avec les villes moyennes et développer une action pérenne et ambitieuse.

  • Redonner davantage de liberté et de marges de manœuvre – fiscales notamment – aux collectivités locales.
  • Réduire les normes ubuesques qui pèsent sur les collectivités de taille intermédiaire et qui renchérissent l’action publique et maintiennent une pression fiscale trop élevée.
  • Limiter, notamment, les effets des lois SRU, ALUR, MAPTAM ou NOTRe sur les villes moyennes.
  • Déparisianiser son soutien à la culture, en soutenant davantage les actions des maires pour faire vivre leur ville tout au long de l’année.
  • Lutter toujours plus activement contre les déserts médicaux, en accompagnant les initiatives locales comme les maisons de santé.
  • Encourager les antennes universitaires dans les villes moyennes pour alléger la pression sur les grandes villes et faciliter le maintien des jeunes au sein des villes moyennes.

Les idées sont nombreuses pour que les villes moyennes continuent d’être un moteur pour la France. Ces villes demeurent recherchées par les familles pour leur qualité de vie, de nombreuses TPE et PME s’y installent car elles y trouvent plus de flexibilité et de facilité que dans les grandes villes. Les infrastructures de ces villes sont nombreuses et souvent de grande qualité, la vie culturelle y est accessible et diversifiée, les écoles y sont bonnes et moins surchargées.


En tant que maire d’une ville moyenne, je suis convaincu qu’une partie de l’avenir de notre territoire se joue au sein de ces villes qui regroupent plus de cinq millions d’emplois.

Au-delà de l’annonce et d’aides ponctuelles, il faut maintenant remettre ces villes au cœur d’une stratégie de développement et de dynamisme. C'est la voix que souhaite porter La France Audacieuse sur la scène nationale.


Frédéric Masquelier,

Maire de Saint-Raphaël

Délégué national de La France Audacieuse


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