Christian Estrosi: «La confiance au président n’exclut pas un besoin d’assurance»

6/09/2021

ENTRETIEN - Le maire de Nice demande plus de pouvoirs aux élus et appelle à «des territoires forts pour un État fort».


LE FIGARO. - Emmanuel Macron reste en tête des intentions de vote pour 2022. Lui apportez-vous, comme Hubert Falco, votre soutien à la présidentielle? Il y a un an, dans Le Figaro, vous appeliez à «passer un accord» avec le chef de l’État.

Christian ESTROSI. - Je ne me déjuge pas sur ce que je vous ai dit il y a un an. Il faut vraiment être de mauvaise foi, surtout lorsque l’on se compare à d’autres pays, pour ne pas reconnaître qu’Emmanuel Macron a été à la hauteur de cette crise sanitaire sans précédent et a maintenu notre économie dans une situation qui nous permet d’observer une reprise progressive de la croissance. Mais la présidentielle, c’est dans 8 mois. Ce n’est pas aujourd’hui la priorité des Français. J’ai bâti avec lui une relation de confiance depuis plus de quatre ans. Je lui suis reconnaissant de nous consulter quand nos propres formations politiques ne nous demandent même pas notre avis, notre retour d’expérience, nos propositions. Les maires sont avant tout des femmes et des hommes d’intérêt général. Le chef de l’État, lui, l’a compris. Naturellement, la confiance au président n’exclut pas un besoin d’assurance pour les réformes à venir.


Qu’entendez-vous par là?

Maintenant, j’attends qu’Emmanuel Macron s’engage à donner aux maires les moyens d’agir, qu’il nous assure de sa détermination à prendre en compte ces évolutions politiques et institutionnelles. Après la présidentielle, se posera la question de la majorité parlementaire. Et naturellement nous ne voulons pas nous retrouver dans la situation actuelle, c’est-à-dire en phase avec le président, mais pas avec la représentation parlementaire de nos territoires. Je veux donner une plateforme d’expression aux Français de droite et du centre, qui ne se retrouvent plus dans les partis, via mon mouvement La France audacieuse. Elle se réunira le 29 septembre dans toute la France grâce aux nouvelles technologies. Nous serons plusieurs milliers. C’est par le territoire que la France pourra se réformer.


Vous faites partie de la trentaine de maires de droite qui s’est réunie à Fontainebleau. Comment doit-on comprendre cette initiative?

Nous sommes un collectif de maires de droite et du centre, nous voulons peser sur l’organisation politique, institutionnelle et territoriale du pays. Nous sommes tous libres. Nous partageons un constat commun: nous sommes la première génération de maires qui ne nous exprimons ni à l’Assemblée ni au Sénat. L’exécutif a gardé l’habitude de ne s’adresser qu’au Parlement. On ne peut pas continuer à réformer le pays sans dialoguer avec ceux qui sont des acteurs du quotidien des Français. Nous ne sommes pas dans des bagarres d’amendements, nous, on agit. C’est apparu de manière encore plus forte pendant la crise sanitaire.


François Bayrou a appelé, dans nos colonnes samedi, à la création d’un «grand mouvement politique central», avec le rapprochement des partis proches d’Emmanuel Macron. Vous retrouvez-vous dans cette démarche?

Trouver une formule moderne qui rassemble le plus largement possible les électeurs de la droite et du centre mérite que nous en parlions. Mais attention, les Français rejettent désormais tout ce qui ressemble au modèle des partis actuels. Vous dites que c’est par «le territoire que la France pourra se réformer».


La venue d’Emmanuel Macron à Marseille ne marque-t-elle pas le centralisme que vous dénoncez?

Le chef de l’État est obligé de mettre les mains dans le cambouis pour combler les faiblesses d’initiatives du territoire. C’est pour cela qu’il faut revoir notre fonctionnement institutionnel. Il faut des territoires forts pour un État plus fort. On gagnera la partie quand l’exécutif obtiendra que la bureaucratie admette le transfert d’une partie des compétences sous forme de décentralisation et déconcentration. Il faut que le dialogue s’installe entre l’État et les territoires en matière de santé, de transition écologique, de culture et de sécurité. Ce sont aussi des priorités pour la France. Pour tout cela, les Français s’adressent prioritairement aux maires. Je suis gaulliste jusqu’au bout des ongles. Donner des pouvoirs aux collectivités territoriales, ce n’est pas couper un bras à l’État, mais le muscler pour qu’il soit efficace dans les domaines qu’il doit porter. Je lui demande par exemple de construire une société plus méritocratique où l’équité entre les Français devient une réalité pour que chacun soit reconnu en fonction de son travail, de ses efforts, qu’il soit employé ou investisseur.


Mais il y a déjà un texte gouvernemental, la loi 3DS, sur cette question de la décentralisation…

On ne retrouve pas dans le texte actuel ce que je propose. C’est dommage. Ne perdons donc pas de temps. Amendons le texte du gouvernement avec des mesures vraiment significatives et l’expérience acquise ces derniers mois d’un meilleur fonctionnement entre l’État et les collectivités. Sans notre volontarisme, jamais la crise sanitaire n’aurait pu être réglée. Cela a permis au président de la République de mesurer que l’État était plus efficace avec des territoires agiles. Ne ratons pas ce rendez-vous.


En matière de sécurité, l’échelon local serait-il plus performant?

Oui, il faut arrêter de dire que la sécurité est une compétence uniquement régalienne. Ce sont dans les villes et les villages qu’on tue, qu’on agresse, qu’on viole, qu’il y a des attentats. C’est sur les territoires publics, dont, nous, élus avons la charge. Si je n’avais pas mis des bornes d’appel d’urgence devant l’église Notre-Dame à Nice, la police municipale n’aurait pas pu neutraliser en quatre minutes un barbare. Aujourd’hui à Nice, la police municipale est la primo-intervenante. Et pourtant, on ne transfère toujours pas les compétences en termes de capacité judiciaire, de contrôle d’identité, de décision administrative de fermeture d’établissement. Enfin face au trafic de drogue, élément majeur de la criminalité dans notre pays, il faut que les élus puissent expulser les familles délinquantes des offices HLM - je suis en train de le faire à Nice -, et que ce ne soit plus l’État qui impose les règles d’attribution de ces logements sociaux.Si l’État nous en donne la compétence, ça peut être beaucoup plus rapide et efficace! La sécurité, c’est la richesse de ceux qui n’ont rien. Il faut juguler l’insécurité, car elle empêche de faire nation. Quand on est dans la peur, on a de la défiance envers l’autre et on se recroqueville sur soi-même. La peur, c’est le poison de la nation. Raison pour laquelle il faut régler ces questions d’insécurité: par les sanctions, les mesures pénales, l’intelligence artificielle. La question de l’identité n’est pas une grossièreté. Elle passe par l’éducation et la culture qui permettent de consolider notre lien national. Le peuple français est un grand peuple qui a sans doute comme singularité de n’être heureux que quand il est fier de lui, quand il parle au monde. Dans la campagne présidentielle qui s’annonce, la capacité à parler au monde sera évidemment déterminante.


La France s’est globalement droitisée. Mais qui lui parle?

C’est une évidence. Au fond, les maires sont plus en phase avec la réalité du terrain que les partis qui se revendiquent de la droite. Nous apportons des réponses plus concrètes et plus crédibles que certains candidats à la présidentielle. La droite n’appartient pas qu’aux Républicains.

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