Christian Estrosi: ses propositions pour la présidentielle

29/09/2021

Le maire de Nice veut rassembler ses pairs à droite et au centre, et conditionne son soutien à Macron à un « nouvel acte de décentralisation ». Interview dans le Point.


Chamboule-tout à droite ! Les militants LR viennent de décider de choisir leur candidat à la présidentielle lors d'un congrès le 4 décembre , en excluant les centristes. Maire de Nice, ex-ministre et dirigeant LR, Christian Estrosi leur tend la main. Soutenu par une centaine de maires, il veut rassembler le plus grand nombre d'acteurs locaux, élus ou non, dans un grand mouvement de la droite et du centre et avance, en exclusivité pour Le Point, plusieurs propositions pour peser dans le débat présidentiel et constituer une nouvelle majorité. Au fil de cet entretien, l'ami de Nicolas Sarkozy fait un pas de plus vers Emmanuel Macron et Édouard Philippe, qui lancera lui aussi son mouvement au Havre le 9 octobre.



Le Point : Dans une France où, soulignent Jérôme Fourquet et Jean-Laurent Cassely, on préfère le bonheur individuel à l'engagement collectif, comment le politique peut-il faire entendre ses convictions ?

Christian Estrosi : Je n'ai pas lu le livre de Jérôme Fourquet et Jean-Laurent Cassely. Mais je constate également que le repli sur soi est une réalité. Tout cela exige de recréer un nouveau souffle grâce auquel le décideur politique puisse prendre l'ascendant sur la bureaucratie, pour que chacune de ses initiatives parle au cœur des Français et leur redonne des raisons d'être fiers d'appartenir à notre grande nation. Le peuple français a pour particularité de n'être heureux que lorsqu'il est fier de lui et qu'il parle au monde, fidèle à son héritage culturel et à l'esprit des Lumières. Redevenir des conquérants dans des domaines comme l'espace, dans les grands défis liés à la transition écologique ou l'innovation, qu'elle soit culturelle ou technologique, peut y contribuer.


Vous donnez une impulsion nouvelle à votre mouvement politique, La France audacieuse, en rassemblant autour de vous une centaine de maires. Dans quel but ?

Les Français ne se reconnaissent plus dans les partis. Ils se sont progressivement détournés des appareils politiques traditionnels tels que Les Républicains, La République en marche ou le Parti socialiste, tant ces derniers ont montré leur incapacité à se remettre en question et à produire des idées neuves. En parallèle, la société française s'est droitisée et des électeurs de centre gauche ont évolué dans cette direction : ils partagent une même espérance d'un pouvoir d'achat accru. Certains dogmes sont tombés : le débat sur l'âge du départ à la retraite et la question du temps de travail ne sont plus tabous pour ces citoyens qui n'hésitent plus à réclamer davantage de caméras de surveillance dans leur ville. Nous souhaitons qu'une majorité parlementaire claire s'engage sur des réformes fortes, notamment en faveur d'un nouvel acte de décentralisation. Nous n'avons pas la prétention de constituer cette majorité à nous seuls. Nous ouvrons le débat et nous travaillons à une addition des forces. Nous voulons créer une dynamique, un élan, et attirer à nous des personnes qui ne se reconnaissent plus dans des auberges espagnoles. Rendez-vous compte que pendant quatre ans, alors que j'étais maire LR de la cinquième ville de France, avant que je quitte ce parti, on ne m'a pas appelé une seule fois pour savoir ce que je pensais de l'état du pays.


Quelle est selon vous la part de responsabilité d'Emmanuel Macron ?

Cela fait trente ans que la société se radicalise et que les classes moyennes souffrent. La fracture sociale dont on parlait en 1995 est devenue un fossé. Dès le grand débat organisé après les manifestations des Gilets jaunes, le chef de l'État a compris que la réponse aux interrogations des Français viendrait des territoires. Si nous voulons qu'une minorité de citoyens cesse de se radicaliser, il faut lui apporter des réponses. Cela passera par un nouvel acte de décentralisation. C'est ce que nous proposons, notamment en prônant une codirection des agences régionales de santé (ARS) avec les collectivités. Nous souhaitons que les directions de Pôle emploi soient confiées aux régions, et non plus à Paris.

En matière de sécurité, nous demandons un renforcement du pouvoir de police des maires et la possibilité de créer des polices intercommunales. Est-il normal qu'un maire ne puisse pas accéder aux fichiers S qui se trouvent sur le territoire de sa commune ? Qu'il ne puisse pas faire usage de manière plus opérationnelle de l'intelligence artificielle sur les réseaux de caméras de surveillance et les compléter par le recours aux drones ? Permettre aux services judiciaires d'utiliser la reconnaissance faciale sur ces mêmes caméras et recouper les informations avec les fichiers des personnes radicalisées ? Nous demandons aussi le droit à la différenciation dans le cadre d'expérimentations. Un territoire doit avoir la possibilité de prendre des initiatives à titre expérimental dans tous les domaines, et, si cela s'avère efficace, de pouvoir les pérenniser. Sur ces initiatives, nos concitoyens pourraient être consultés par voie de référendum d'initiative locale. Les collectivités doivent disposer de certains pouvoirs étendus. En matière de sécurité, là où il y a des effectifs de police municipale conséquents, le maire doit voir son pouvoir de police renforcé.

Enfin, concernant la transition écologique, il faut que les intercommunalités soient habilitées à prendre des mesures à la carte qui leur permettent d'aller plus loin que ce qu'imposent les normes nationales et internationales. Par exemple, pourquoi le maire d'une commune ne peut-il pas peser sur la tarification de l'électricité lorsqu'il a réalisé les investissements qui font monter en puissance la production d'énergie renouvelable sur place et à moindre coût ? Nous voulons aussi un allègement des procédures administratives de recours, qui durent parfois dix ans, découragent les investisseurs et freinent la création d'emplois. Toute requête abusive, lorsqu'elle échoue, doit imposer aux requérants déboutés une participation liée aux pertes financières engendrées.


Ces propositions conditionnent-elles votre participation à une future majorité de projet ?

Le président et moi discutons de ces sujets dans un climat de confiance et de respect réciproques. Sur de nombreuses réformes - ouverture à la concurrence des TER, Code du travail, sécurité globale - j'ai tissé un partenariat avec l'État. À titre d'illustration, lorsqu'on m'accorde 80 policiers nationaux, je recrute 80 policiers municipaux en plus, c'est-à-dire un total de 160 policiers au bénéfice de la sécurité de nos concitoyens. Nous pensons que ces propositions, cette plateforme de réformes, peuvent servir de base pour rassembler une grande partie de nos concitoyens autour d'une nouvelle organisation de la droite et du centre dans notre pays. Le président sera-t-il sensible à ces propositions ? Si je ne peux l'affirmer avec certitude, Emmanuel Macron me paraît être attentif à ces arguments comme à ceux de nombreux élus de ma sensibilité. J'ai le sentiment que, depuis le début de son mandat, les nombreuses épreuves que notre pays a connues et auxquelles il a dû faire face l'ont amené a tirer des enseignements forts, notamment sur l'agilité des collectivités face à l'inertie de certains services de l'État. Même s'il faut encore m'en persuader, je reste sur une ligne de confiance.


 « Le président et moi discutons dans un climat de confiance et de respect réciproques. »


Cherchez-vous à peser sur la campagne présidentielle ?

Oui, car je suis convaincu que les maires de la droite et du centre doivent le faire. C'est grâce à eux que nous pourrons porter les réformes structurelles dont le pays a besoin. Depuis trente ans, les gouvernements successifs n'ont fait que transformer les administrations centrales en technostructures se substituant aux politiques. Ce sentiment d'impuissance publique que ressentent nos administrés touche toutes les institutions, les appareils politiques, les corps intermédiaires, les syndicats, les fédérations industrielles. Il n'y a plus de pilote dans l'avion ! Voyez les manifestations qui se déroulent tous les samedis dans les villes, qui n'ont ni chef ni encadrement et dont l'itinéraire n'est même plus déposé préalablement en préfecture. Qui sont les bons interlocuteurs pour ouvrir un dialogue social aujourd'hui ? Ce sont les maires, qui sont ceux qui connaissent le mieux leurs administrés. Ils sont les élus les plus libres de la République, et leurs projets sont toujours dépourvus d'intérêt partisan. Il faut réformer la France, et de manière structurelle. Le pouvoir politique doit disposer d'une majorité qualifiée qui lui permette de réformer la Constitution et d'agir au Parlement.


Regrettez-vous qu'Emmanuel Macron ne soit pas allé au bout de réformes comme celle des retraites ?

La réforme des retraites ne relève pas forcément de dispositions constitutionnelles mais d'une majorité au Parlement. Or cela fait dix ans qu'on tourne autour. En revanche, je cite en exemple la volonté politique du président de la République et du gouvernement sur la loi de sécurité globale. Malgré son adoption par le Parlement, quinze jours plus tard, le Conseil constitutionnel a cassé de très bonnes dispositions qui étaient voulues par les maires pour lutter contre les rodéos urbains, stopper le trafic de drogue et autoriser l'utilisation de drones pour les arrestations…


Vous plaidez pour une majorité parlementaire solide afin de permettre au président de la République de réformer la Constitution ?

Plusieurs erreurs ont été commises ces dernières années. La première est le passage au quinquennat, qui ne permet pas à un président de s'inscrire dans le temps long et qui conduit à ce que la majorité parlementaire soit liée à la majorité présidentielle. La deuxième erreur, c'est la suppression du cumul entre mandat parlementaire et présidence d'un exécutif local. Même si je demeure favorable au non-cumul des mandats, l'idée qu'aucun élu en contact direct avec la vie quotidienne des Français ne puisse se faire entendre au Parlement est incongrue. C'est pourquoi je plaide pour une réforme constitutionnelle afin de réajuster la répartition des pouvoirs législatif et réglementaire entre les élus locaux et le Parlement.

 « C’est grâce aux maires de droite et du centre que nous pourrons porter les réformes dont le pays a besoin. »


Faut-il supprimer le quinquennat ?

La question ne se résume pas à cela. Mais le taux d'abstention aux dernières élections régionales et départementales doit alerter tous les responsables publics sur l'existence d'une crise de la représentation. Notre système démocratique et politique doit être revu en profondeur pour que les élus locaux puissent s'exprimer sur toutes les grandes réformes.


Édouard Philippe, dont vous êtes proche, s'apprête à lancer son parti politique. Votre mouvement, La France audacieuse, a-t-il vocation à converger avec le sien ?

Édouard Philippe et moi avons des sensibilités politiques proches et complémentaires. Nous sommes issus d'une formation souhaitée par Jacques Chirac, l'UMP, qui permettait à nos différentes sensibilités, de droite et du centre, de s'additionner. Nous avons mené les mêmes combats, autour des mêmes valeurs. Nous avons forcément vocation à réfléchir ensemble, à offrir aux électeurs de la droite et du centre un nouvel espace d'expression et de contributions aux grands enjeux d'avenir de notre pays.


Édouard Philippe, justement, a annoncé son soutien à Emmanuel Macron. Qu'est-ce qui vous retient de ne pas en faire autant ?

Je ne me retiens pas : je suis un homme libre. Cette liberté m'accorde une relation de confiance avec le président de la République, qui me consulte sur les sujets nationaux et m'accompagne sur tous mes projets locaux. Quant à votre question de soutenir ou non le candidat Emmanuel Macron, j'y répondrai très prochainement sans ambiguïté.


Que se passera-t-il si un autre candidat, par exemple issu de la droite, retient vos propositions ? Vous avez de bonnes relations avec Xavier Bertrand, Valérie Pécresse, Michel Barnier…

Si je reste gaulliste, je ne comprendrai jamais la stratégie de la direction de mon ancien parti, qui chaque jour se réduit un peu plus, allant même jusqu'à ne plus vouloir parler aux centristes. Ils se retirent ainsi toute légitimité pour ouvrir un débat devant les Français.Vidéo. Entretien avec Christian Estrosi.


« Ce congrès LR a définitivement enterré l’œuvre de Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy. » 



Que pensez-vous de la décision de LR de choisir le candidat par un congrès et non par une primaire ?

J'ai participé, aux côtés de Nicolas Sarkozy et Alain Juppé, à la création de cette grande famille politique de la droite et du centre, qui rassemblait les libéraux, les gaullistes, les centristes. Ce congrès avec 23 000 adhérents, en excluant les Français qui avaient pourtant été 4 millions à participer à la primaire de 2016 et nos amis du centre, a définitivement enterré l'œuvre de Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy.


Vous êtes invité à la rentrée de LREM à Avignon, début octobre. Irez-vous ?

Je suis naturellement sensible à cette invitation d'une formation de la majorité présidentielle dans laquelle je compte un certain nombre d'amis, qui participent d'ailleurs à ma majorité municipale et à la majorité régionale que conduit Renaud Muselier. Ce jour-là, chacun comprendra que mon devoir est d'être parmi les miens pour la première commémoration de la tragédie de la tempête Alex, qui a fait 10 morts et 8 disparus il y a un an.


Vous voulez constituer une majorité parlementaire… Le Parlement a été très affaibli sous Emmanuel Macron. Comment lui donner davantage de pouvoir ?

Cela fait longtemps que le Parlement a été affaibli. Mais tout l'enjeu du prochain quinquennat, c'est d'avoir une majorité claire sur des idées claires, notamment pour aller plus loin sur la santé, la sécurité et conduire de grandes réformes pour une écologie de croissance face à l'écologie de décroissance que prône la gauche.


Vous appelez donc le président à sortir de l'ambiguïté ?

En 2017, il était difficile pour le président de faire autrement, puisque aucune formation politique ne le soutenait. Emmanuel Macron a constitué sa majorité avec des personnalités qu'il a sélectionnées pour certaines par tirage au sort. Malgré cela, les Français ont voté pour elles, ce qui démontre que les citoyens ont plutôt tendance à vouloir accorder au président élu une majorité.


Cela semble le cas, puisque le projet de maison commune voulu par les macronistes est en chantier. Pourriez-vous la rejoindre ?

Il semble que François Bayrou, pour lequel j'ai de l'estime, pousse à la construction d'un grand parti démocrate avec LREM. Même si nous avons vocation à nous compléter, nous sommes un certain nombre à considérer qu'il est difficile de nous fondre dans cet ensemble compte tenu de notre histoire politique. Il faut donc bâtir cet espace de la droite et du centre, qui pourrait partir de nos territoires. La France a besoin de se donner des puissances régionales à travers des métropoles associant monde urbain et monde rural. Lorsqu'on sait qu'elles représentent près de 70 % de la commande publique, c'est par elles que la France retrouvera des parts de croissance et de compétitivité en relation avec le monde industriel et l'innovation. En tant que gaulliste, je suis pour un État fort. Il faut donc des territoires forts pour un État plus fort !


Vous ne craignez pas que votre opération fasse « pschitt » ?

Ce n'est pas une opération. Ce sont des convictions que j'ai pour mon pays, tout en précisant que je ne suis candidat à aucune responsabilité gouvernementale. Tant de choses qui font la une de l'actualité politique en cet automne 2021 feront « pschitt » dans quelques mois… Les idées que nous portons avec La France audacieuse et un certain nombre d'autres amis ont vocation à nourrir de grandes espérances pour nos concitoyens et notre pays. Je reste convaincu qu'un grand nombre de Français aspirent à voir émerger ces idées issues de la droite et du centre.


Que pensez-vous de l'irruption fracassante d'Éric Zemmour dans cette précampagne ?

Il m'est arrivé de participer à des émissions avec Éric Zemmour en tant qu'invité. Nous avons eu l'occasion de discuter de l'état de notre pays, je l'ai reçu au Festival du livre à Nice, par exemple. Ce qu'il fait aujourd'hui est à mes yeux simpliste et facile. Il aborde quelquefois de bons sujets, mais avec une part d'excès dans lequel je ne peux me reconnaître. Je n'aime pas parler des autres, j'aime proposer. Je suis contre toutes les formes d'extrême.


Si aucun candidat ne venait répondre à vos propositions, seriez-vous prêt à présenter un candidat issu de votre collectif de maires ?

Pour l'heure, rien ne justifie d'ouvrir ce débat.w dans le Point 


La France audacieuse

Le mouvement politique lancé par Christian Estrosi en octobre 2017 revendique 15 000 adhérents et 1 200 élus locaux.

Les principaux maires qui en sont les relais sont : Delphine Bürkli (Paris 9 e), Arnaud Péricard (Saint- Germain-en-Laye), Jean-Luc Moudenc (Toulouse), Arnaud Robinet (Reims), Alain Chrétien (Vesoul).

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